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ChroniqueQue restera-t-il de l’oeuvre de Gilles Lupien?

Vêtu d'un complet, il est dans les gradins du Prudential Center au New Jersey pendant le repêchage de la LNH.

Gilles Lupien

Photo : Getty Images / Bruce Bennett

Le monde du hockey a perdu l’un de ses personnages les plus authentiques, mardi après-midi, quand Gilles Lupien s’est éteint d’un cancer à l’âge de 67 ans.

Né d’une famille modeste de Brownsburg, cet enfant dénué d’agressivité ou de méchanceté est devenu bagarreur malgré lui afin de protéger ses coéquipiers. Il a fait régner la loi sur les patinoires de la LHJMQ avant de remporter deux Coupes Calder dans la Ligue américaine avec le club-école du Canadien (les Voyageurs de la Nouvelle-Écosse) et ensuite deux Coupes Stanley, en 1978 et en 1979, avec la dynastie du CH.

Durant les années 1980, après sa carrière de hockeyeur, Gilles Lupien s’est lancé dans le monde des affaires. Et le hasard l’a propulsé à la tête d’une petite agence de représentation de hockeyeurs qui a fini par devenir fort influente.

C’est dans ce nouveau rôle de protecteur qu’il s’est particulièrement démarqué, notamment par l’ingéniosité et la férocité avec laquelle il défendait les intérêts de ses clients. Mais aussi par les incessantes croisades qu’il a menées pour que les bagarres soient abolies et que les hockeyeurs juniors aient accès à une meilleure éducation.

À titre d’agent, Gilles Lupien a représenté plus d’une centaine de clients parmi lesquels on retrouvait des noms comme Enrico Ciccone, Martin Lapointe, Donald Audette, Philippe Boucher, Denis Gauthier et Gino Odjick.

Sans compter le fait que, durant les années 1990 et 2000, son agence est devenue une sorte de Mecque vers laquelle convergeaient les plus talentueux jeunes gardiens de la LNH. Il a tour à tour représenté des portiers comme Martin Brodeur, Roberto Luongo, Félix Potvin, Corey Crawford, Emmanuel Fernandez, Mathieu Garon, Patrick Lalime, Martin Gerber, Martin Biron et Dominic Roussel.

Il soulève la coupe Stanley.

Martin Brodeur

Photo : Reuters / Mike Blake

Durant l’été, dans la région de Montréal, Lupien organisait pour ses clients l’école de gardiens la plus spectaculaire et la plus relevée sur la planète. Il en confiait la direction à François Allaire, l’entraîneur de gardiens le plus innovateur et influent de l’histoire du hockey.


Moins de 24 heures après le décès de son mentor et ami, Enrico Ciccone était encore inconsolable, mercredi matin. Pour cette raison, le député de Marquette avait décliné à peu près toutes les demandes d’entrevues qui lui avaient été faites depuis l’annonce du départ de Gilles Lupien.

Même si j’ai 51 ans, on dirait que je perds mon protecteur. On a tous une famille et un réseau de support familial. Mais pour moi, Gilles était en quelque sorte la voix de la raison. C’était le gars qui prenait le téléphone et qui voyait toujours venir les coups, dans tout ce que je faisais. Il était pour moi une sorte de filet de sécurité. Il va terriblement me manquer, a-t-il confié.

Enrico Ciccone était âgé de 15 ans quand il a rencontré Gilles Lupien pour la première fois.

Il avait appelé mes parents et il était venu nous rencontrer à la maison. Gilles avait à peine 30 ans à l’époque. Et quand il était reparti, je ne voulais être représenté par personne d’autre que lui! Je me disais : "Ce gars-là va être mon chum." Il n’avait rien essayé de vendre. Il ne s’était pas comporté comme un vendeur de voitures. Il s’était concentré sur l’aspect humain de la vie d’un athlète.

Plusieurs années plus tard, quand je suis allé travailler avec lui au sein de son agence, c’était la même chose. On parlait très peu de hockey avec les jeunes joueurs et leurs parents. Le but consistait à aider le jeune à se servir du hockey pour devenir une personne productive dans la société. Et Gilles disait : "Si tu deviens une bonne personne et que tu agis de la bonne façon, tes probabilités de jouer dans la LNH seront nettement plus élevées."

Un homme devant un mur de briques

Ancien hockeyeur professionnel, Enrico Ciccone a été élu député de la circonscription de Marquette.

Photo : Radio-Canada / Romain Schué


Dans l’univers impitoyable du sport professionnel, les gens qui tiennent systématiquement parole ou qui disent exactement ce qu’ils pensent ne courent pas les rues. Or, la franchise parfois tranchante de Gilles Lupien était en quelque sorte la pierre d’assise de son plan d’affaires.

Quand on finissait nos rencontres avec de jeunes hockeyeurs et leurs parents, Gilles me demandait d’évaluer, de 1 à 10, la possibilité qu’ils nous choisissent pour les représenter. Au début, je lui répondais parfois que nos chances se situaient à "moins 5". Il ne nous choisira jamais! Tu lui as dit qu’il a 15 livres en trop et qu’il est paresseux! Comment veux-tu convaincre les jeunes d’embarquer avec nous si tu leur parles de cette façon?

Et il me répondait : "Cicco, si on ne leur dit pas la vérité, ils vont constamment vivre dans un monde de boulechite. Les autres agents vont leur dire qu’ils sont parfaits. On laisse ça aux autres agents. Nous autres, on leur dit la vérité. S’ils veulent devenir des joueurs de hockey, ils doivent faire face à la vérité."

À titre de joueur, Ciccone dit avoir grandement apprécié cette transparence de son agent.

Quand les choses allaient mal sur la patinoire, il m’appelait et me demandait comment j’allais et comment allait ma vie familiale. C’était l’humain avant tout. Ensuite, on parlait de hockey et il me disait : "Oriente-toi, le grand." Il te donnait un choc pour te réveiller, puis il enchaînait avec des encouragements. Après son appel, tu avais le goût de retourner sur la patinoire immédiatement pour redresser la situation. Tu voulais repartir à 100 milles à l’heure.

Au nom de la vérité, toutefois, Gilles Lupien a laissé de véritables fortunes sur la table. Il considérait que la relation joueur-agent devait être collaborative et égalitaire. En conséquence, il a toujours refusé d’être considéré comme un employé par ses clients. Quand un tel manque de respect survenait, il n’hésitait pas à rompre les liens.

Il a déjà renoncé à des sommes extrêmement élevées parce que, à titre d’exemple, un client voulait accepter un contrat qui ne reflétait pas sa réelle valeur sur le marché. Il préférait s’en séparer plutôt qu’être associé à une entente qu’il estimait mauvaise.

Il y a aussi des clients qui, parfois, n’étaient pas contents de ce qu’ils entendaient. Et Gilles estimait que si des joueurs décidaient de partir, c’était parce qu’ils n’étaient pas prêts à faire les efforts nécessaires ou à entendre la vérité. Et que dans les deux cas, il ne pouvait pas les aider de toute manière.


En fin de compte, que restera-t-il de l’oeuvre de Gilles Lupien?

En entendant cette question, Enrico Ciccone a eu beaucoup de difficulté à contenir sa peine.

L’agent déployait beaucoup d’efforts de sensibilisation et d’éducation pour que ses clients soient prêts à entamer une seconde carrière valorisante et à préserver leur cellule familiale après leur carrière d’athlète. Aussi, il réunissait ses clients chaque été pour qu’un esprit de solidarité se tisse entre eux. Ainsi, il espérait qu’un réseau d’entraide les unisse en cas de difficulté.

Gilles tenait tellement à ce qu’on se respecte entre nous. Par exemple, quand nos équipes s’affrontaient, il ne voulait pas qu’on se batte l’un contre l’autre et qu’on se fasse mal. Alors, quand je jouais contre Gino Odjick ou Donald Brashear, on ne franchissait jamais cette ligne. Il y avait un tel respect entre nous que nous faisions notre travail, mais en nous assurant de ne pas avoir à nous affronter.

Toutes ces années plus tard, (les anciens clients de Lupien) on se parle moins souvent. Mais quand on le fait, c’est comme si nous ne nous étions jamais quittés. Je pense que chaque ancien sait qu’il n’est qu’à un coup de téléphone de recevoir de l’aide s’il en a besoin. Donc, l’objectif de Gilles a été atteint.

Par contre, il reste des batailles inachevées. On ne peut pas régler tous les problèmes de la planète d’un seul trait, mais l’éducation et la sécurité des jeunes hockeyeurs étaient très chères à ses yeux. Ce qui me fait le plus de peine, c’est qu’il n’ait pas vu de son vivant l’abolition complète des bagarres, alors qu’il a travaillé fort toute sa vie pour que ça survienne. Mais il le verra éventuellement d’un autre endroit, conclut Enrico Ciccone, qui entend bien reprendre le bâton du pèlerin.

Un bandeau annonçant le balado de Radio-Canada Sports : Tellement hockey

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